Edito du Président : Appliquer authentiquement la Laïcité

Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas ». Les extrémismes religieux, de toutes confessions, enflamment
aujourd’hui l’espace public et semblent donner raison à André Malraux pour avoir prononcé, au
siècle dernier, cette phrase devenue mythique. Cette prophétie est-elle en marche ?
On a tout vu et entendu lors de la dernière manifestation « Stop à l’islamophobie » du 10 novembre
2019 : « …la liberté de culte est le fondement de la liberté de conscience ». C’est là, le contrepied du principe
cardinal de la loi de séparation, dont la liberté de conscience est le primat. La liberté de culte
appartient à quelques-uns, la liberté de conscience appartient à toutes et tous. Car la liberté de
conscience assurée à toutes et à tous garantit le libre exercice des cultes et non l’inverse. Le règne du
particulier et l’antagonisme des intérêts individuels s’opposent à l’universel fondement des principes
républicains pour l’unité des citoyens. « Les digues ont cédé à l’intérieur d’organisations… dont la Laïcité
était pourtant l’une des raisons d’être. »
À chaque évènement dramatique depuis janvier 2015, les clergés sont convoqués, par les responsables
institutionnels pour réaliser la coexistence pacifique de leurs Églises. Les Églises et les communautés
ne peuvent incarner une fonction unificatrice de la nation. En République, l’État est séparé et libre de
toute emprise religieuse. La nation, par ses principes constitutionnels, est composée de citoyens à égalité
de droits et devoirs et non pas de communautés de religions, de classes ou d’intérêts. La Laïcité
n’est ni opposée ni circonscrite à la tolérance, elle la fait sienne et l’intègre. La Laïcité combat tous les
racismes et se refuse à confessionnaliser l’antiracisme, prémisses de guerres de religion. C’est la nation
des citoyens qu’il faut rassembler et non quelques communautés choisies, prétendues la constituer et
l’instituer. Une politique pluri-néo-cléricale ne peut tenir lieu de projet social ou sociétal.
Par ailleurs, dans le champ institutionnel de l’École de la République, les activités d’enseignement doivent
se dérouler hors des antagonismes externes : religieux, sociaux, économiques… On ne peut pas
céder dans l’École, à ceux qui opposent, lors des activités d’enseignement, leur appartenance communautaire
et la manifestation de leur liberté religieuse aux « citoyens en devenir ». Ces accompagnants
semblent ignorer ou bafouent délibérément la liberté de conscience des élèves lors des sorties scolaires.
Ainsi, on occulte intentionnellement la liberté de conscience de l’accompagné pour imposer la
manifestation de la liberté religieuse de l’accompagnant. C’est une inversion des principes de la loi de
séparation de 1905. La confusion règne dans le vide juridique abandonné à la cacophonie des interprétations
contradictoires du principe de laïcité. Dans un état de droit, pour organiser des libertés fondamentales,
on ne saisit pas le Conseil d’État mais le Parlement, émanation des citoyens. Pourquoi déposséder
le législateur de sa souveraineté ? Un gouvernement des juges ne peut faire le droit. Il doit faire
appliquer la loi. En République, il n’y a qu’un seul rapport de force qui vaille : c’est la loi. « Entre le fort et
le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui
affranchit » rappelait Lacordaire.
L’École laïque cherche à développer chez l’enfant le « citoyen en devenir » pour se construire. De plus
en plus, l’individualisme impacte l’École publique et les forces sociales, politiques, économiques voire
des communautés, affectent la Laïcité. Les catégories sociales favorisées ont déjà leur école privée où
le financement public se multiplie et contribue à l’accroissement des privilèges pour confiner l’enfant
dans son milieu social. C’est un apartheid scolaire et social. S’opposent deux conceptions. D’une part,
l’individualisation du rapport à l’école au nom de la « liberté de choix » – celle de l’entreprise appliquée
à l’enseignement. « Liberté de choix » confisquée et instrumentalisée par des communautés à des fins
prosélytes. D’autre part, la démocratisation par l’égalité en éducation et la laïcité voulue par Jules
Ferry : « Avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théorique,
mais l’égalité réelle, – et l’égalité des droits est pourtant le fond même et l’essence de la démocratie ».
La République et son École seront laïques ou ne seront plus.
L’École a pour mission de former des citoyens, libres, autonomes pour apprendre à raisonner plutôt
qu’à croire. « C’est dans le gouvernement républicain, disait Montesquieu, qu’on a besoin de toute la puissance
de l’éducation ». La Laïcité doit rendre sa raison d’être au lien consubstantiel entre l’École et la
République.
28 novembre 2019.