Edito du Président : L’Ecole, la Commune et la République

Le terme « école primaire » se trouve pour la première fois dans le rapport à l’Assemblée Constituante sur l’instruction publique de Talleyrand en septembre 1791. « L’objet des écoles primaires est d’enseigner à tous les enfants les premiers et indispensables devoirs ». La question de l’école est, en effet, à ce moment, étroitement liée à celle de la formation du citoyen qui participe aux affaires publiques. L’appellation « primaire » procède ici explicitement de l’idée que les écoles implantées localement doivent fournir l’instruction nécessaire à la participation aux « assemblées primaires » réunissant l’ensemble des citoyens d’une même commune. La bien-nommée « commune » est souvent considérée, aujourd’hui, comme le cadre démocratique par excellence. On trouve là l’existence d’un lien consubstantiel, tissé depuis plus de deux siècles, entre l’École, la Commune et la République. En 1792, Condorcet développe ce concept d’« instruction publique » pour soustraire les familles à l’inégalité des conditions de fortune et les protéger des pressions idéologiques et religieuses pour formater les consciences plutôt que de les émanciper. Cette dimension émancipatrice essentielle de l’École publique laïque, productrice de liberté, d’égalité et de fraternité vise à s’affranchir de toute tutelle.

Aujourd’hui encore, seule l’école primaire publique est une compétence de base de la commune. On parle d’ailleurs habituellement de « l’école communale », et cette dernière reste au cœur de la vie municipale, renouvelée tous les six ans.

Les lois ont rendu l’école gratuite, l’éducation obligatoire et l’enseignement laïque. L’obligation d’instruction, aujourd’hui de 3 à 16 ans, renforce le rôle des communes dans leurs missions de construction et d’entretien des écoles publiques au regard de notre Constitution dans laquelle « L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. ».  L’École laïque, institution, ne peut exister que par une décision de la commune, propriétaire des écoles, représentant l’État qui se doit d’assurer l’accès à l’instruction publique.

La loi du 8 juillet 2013, dite « loi de la refondation de l’école » en inscrivant le projet éducatif territorial a reconnu aux collectivités locales, leur rôle, leur capacité à se doter d’une stratégie éducative du périscolaire. Cette disposition législative offre un cadre pour la concertation des acteurs impliqués dans l’éducation. L’éducation est un service public national, dont l’organisation et le fonctionnement sont assurés par l’État, sous réserve des compétences attribuées aux communes pour les associer au développement du service public. On ne peut pas déléguer, sans dommage, cette mission de l’État.

Cependant, hors de toutes compétences, alors que de nombreuses villes et villages de France ne disposent pas d’écoles publiques, les communes financent, sur l’impôt de tous les contribuables, les dépenses de fonctionnement des classes maternelles et élémentaires des écoles privées sous contrat. Ainsi, la collectivité publique communautarise des subventions pour une concurrence de plus en plus dispendieuse où deux modèles opposent deux conceptions antinomiques de la société. Face à l’égalité en éducation de l’école publique émancipatrice se dresse l’école privée libérale de l’inégalité sociale et de l’adaptation au marché placée sous la tutelle religieuse des Églises pour former leurs croyants. Cette remise en cause de la séparation des Églises et de l’État prospère, aujourd’hui, sur des considérations individualistes et consuméristes des familles. N’est-ce pas là une instrumentalisation politique de la religion ? Cette concurrence occulte les missions assignées à l’École publique, invalide ses principes fondateurs et le sens même de cette institution nationale en invoquant de sempiternels et injustes dysfonctionnements présupposés pour mieux la détruire. Or l’École publique est bel et bien consubstantielle à l’État républicain. L’État a le devoir de former des Citoyens et non des croyants. Les DDEN, en ce soixantième anniversaire, restent fidèles au Serment de Vincennes pour restaurer les principes républicains de notre École publique qui n’est ni un marché, ni un lieu de culte.

La commune, collectivité politique de droits dans laquelle les citoyens organisent leur école laïque affranchie de toute tutelle, doit donner à son institution scolaire, dévolue au seul intérêt général, tous les moyens de sa réussite. Cette École publique est la seule où l’on accueille, hors des déterminismes sociaux et des intérêts particuliers, tous les citoyens en devenir afin de préserver leur liberté de conscience et garantir leur émancipation.

Eddy Khaldi

1er mars 2020